Pierre Peyrichout prêt à la mise en route du DC9, devant l’aérogare d’Innsbruck. (collection privée Pierre Peyrichout)

C’étaient de ces « kombinat » industriels que les pays socialistes produisaient à foison, comme à plaisir. Dans le nord de la République tchèque, à Liberec (100km au nord de Prague) ils sont toujours là, délabrés, désaffectés, en ruine. Parfois des start up profitent des loyers ridicules pour s’y installer. On accède à ces perles après avoir sollicité poliment l’ouverture d’une barrière, et navigué à travers de longues allées bétonnées de lourdes plaques disjointes, de flaques d’eau croupie, de rails où circulaient draisines et wagonnets désuets au bon temps du communisme. Puis là, au détour d’un pan de mur, un parking, une Tesla modèle S et une porte avec la mention « real simulator ». Un autre univers.

Découverte de l’autre univers

Murs blanc cassé, sol de béton lissé, casiers pour ranger chaussures et autres sacs. Une belle armature circulaire abrite le Saint des saints. Auparavant, passage obligé (animal de compagnie s’abstenir) par un lounge VIP, fauteuils design rouge vif, rangée de hublots donnant sur un paysage survolé à quelques 600ft où Petr Bily, le maître de céans et pilote privé propose au bar, en chemisette galonnée de commandant de bord des breuvages permettant aussi de « piloter beurré », si le cœur vous dit.

Derrière l’enceinte circulaire, un vrai DC9. Plus exactement le cockpit tronçonné du N1332U de l’ex-compagnie américaine NWA. Construit en 1969, il affiche 90.000 heures de vol. Les principaux hard et software ont été opérés par Jindřich Machalínek – lui aussi galonné – électronicien qui fait office d’instructeur link. La troisième cabin crew est Petra Bila, l’épouse du Cap’tain, qui s’occupe des relations clients.

Il paraît que c’est réaliste en diable. Je crois sur parole. D’autant que la vision est panoramique à 270°. L’angle (vraiment) mort est donc dans le dos. Le client a le choix entre 24.000 aéroports entrés dans la base de données.

Pierre Peyrichout aux commandes examinant le manuel de mise en route. les images projetés des avions stationnés sur la parking à l’arrière du simulateur, atteste bien des 270° de vision panoramique disponible. (collection privée Pierre Peyrichout)

Il fait CAVOK à Innsbrück.

J’étale modestement 1200 heures, une qualif bimoteur léger qui n’est plus qu’un souvenir très lointain, pour bien montrer que je ne suis pas au niveau et que je vais découvrir un monde inconnu. Il est beau, le monde à Innsbrück. J’aime cet aéroport sur les bords de l’Inn. Enchâssé dans le relief, il a de la gueule. 2000 mètres de piste et un VASI sur la 08 devrait me convenir. Je dis bien « devrait »… Je passe sur les procédures de démarrage. Longues… Les problèmes commencent au roulage. P… de roulette de nez ! les inerties, les amplitudes… Finalement, on s’y fait. Tout doux sur le palonnier. Wooaw, je suis le Fangio du taxiway. La ligne jaune défile bien droit et à vitesse professionnelle. Alignement…Souvenir d’aéro-club, tout se fait en VFR et sans radio.

– Please, no crosswind and no failure on take-off.

– Sure ! garantit l’instructeur.

Tour de piste prévu à 6000ft par la droite. Mise de gaz progressive, quasiment en deux temps. Miracle, ça avance (presque) droit. Ça pousse comme il se doit. On part du principe que la V1 est à 110 Kts, rotation à 130, montée à 140 et 15° d’assiette. Vario positif, frein, le train rentre, le bruit va avec. Ça pousse toujours. Vingt Dieux, je pilote un DC9 ! Parada ! disent les Tchèques. D’un stylo laser, l’instructeur fixe un point sur la montagne, quelque 30° sur la gauche. On doit « frôler » les forêts pour avoir ensuite la place d’un 45° d’inclinaison par la droite, piloté à l’horizon. J’adore les ailerons, remarquablement indifférents de l’appareil. Avec le plein des réservoirs d’ailes, je m’attends à une certaine lourdeur à basse vitesse. Que nenni !

M… Au lieu de m’extasier sur l’homogénéité des commandes, j’aurais dû vérifier. Qu’est-ce que je fais là, à 7500 ft ? Je pousse sur le manche, trim, mais l’alti monte encore. Je contrôle au vario, lui aussi. Je trime méchamment à piquer, voilà que le manche tire dans la main. Enfoiré de DC9 ! … Vent arrière, déjà ? Je ne l’ai pas vue venir. Le badin est à 250 Kts. Je devrais être à moins de 200 pour intégrer à 4300ft et à 130Kts la pente du VASI. Autrement dit, c’est déjà foiré. Rien n’est stabilisé. Pour aggraver, j’ai du mal à déverrouiller la palette des volets. Merci à l’instructeur qui joue les auto-manettes. Gaz, train, volets, il s’occupe de tout. Ouf ! mais ça ne suffit pas. Je te jure qu’elle arrive vite une piste quand tu déboules à 130 Kts et que le repas n’est pas prêt. On n’a pas idée aussi, de construire des pistes quatre fois trop étroite ; surtout pour moi, aujourd’hui. Bien sûr, j’overshoote l’axe, le VASI est écarlate. Trop bas pour une baïonnette. Discute pas : remise de gaz. L’instructeur est là pour me décharger des tâches ménagères. Je ne m’occupe que des trajectoires, c’est déjà beaucoup. Au deuxième essai, je le pose sur l’herbe. J’imagine les dégâts. Au troisième, sur la piste, enfin ! Mais je termine debout sur les freins… Je m’essuie presque le front et rigole, parce qu’on y croit, à ces jouets pour grandes personnes !

Commentaire de Nathalie.

– Si je n’étais déjà montée avec toi, je ne croirais pas que tu étais pilote.

Je fais remarquer à ma fille.

– Si tu passais de ta Peugeot 108 à un 40 tonnes avec remorque, l’effet serait moindre encore.

Après, nous avons fait joujou. Décollage de Prague. L’aéroport Vaclav Havel est dégagé tous azimuts, avec une 06/24 de 3700 mètres, nous avons survolé la capitale de la Bohême à basse altitude, remonté la Vltava, tourné autour du château de Karlstein et visité la région.

Je m’attendais à des sensations comme on pourrait en éprouver (j’imagine) en faisant l’amour avec une poupée gonflable – on a le droit de conjecturer, non ? Pas du tout, j’ai vraiment pris du plaisir. Il me faudrait encore une bonne dizaine d’heures pour être à peine à l’aise et profiter pleinement.

Premier conseil : maîtriser et anticiper les incroyables inerties (au moins 6/7 secondes). Ensuite, ne presque pas arrondir et plutôt vomir l’avion. Quand on a pigé ça, on a fait un sacré bout de chemin, mais elle est encore très loin, « la qualif de type ». Sans parler de la quinzaine de centimètres de documents A4 à se fader…

Le coût de la balade dépend de la formule et de la durée : entre 75 et 400 euros. Vraiment, ça vaut le coup !

Pierre Peyrichout

Pierre Peyrichout est aussi l’auteur de la biographie « Oscar Hendrych« , parue aux Éditions JPO (Jean Pierre Otelli)

Le site de real simulator : www.realsim.cz

Le DC9 N332U de NWA se pose à Baltimore le 9 mars 2010 ©Allan Levin